* Par Martin Hoegger

La crise écologique ne peut être résolue uniquement par les technologies vertes ou les traités internationaux. Cela nécessite une conversion du cœur et une redécouverte du sens spirituel du monde. Tel est le message prophétique du métropolite Jean de Pergame (Zizioulas, †2023), dont la pensée a profondément renouvelé la théologie orthodoxe et inspiré le mouvement œcuménique pour la protection de la création.

À un conférence à l’Académie patriarcale de Crète (9 octobre 2025), le théologien et sociologue grec Dr Konstantinos Zormpas, directeur général de l’Académie orthodoxe de Crète, lui a rendu hommage dans une conférence dense et éclairante. S’appuyant sur son travail, lui et d’autres intervenants ont montré comment Zizioulas était un pionnier d’une pensée écologique enracinée dans la foi et la liturgie.

Une théologie née de la liturgie

Dès 1967, Zizioulas posait les bases d’une théologie écologique profondément spirituelle.[1] La création n’est pas une ressource à exploiter, mais le lieu de rencontre de Dieu et de l’homme. Dans la Divine Liturgie, le prêtre lève le calice et dit : « Nous vous offrons le vôtre, en tout et pour tous ». Ce geste résume toute sa théologie : l’humanité offre à Dieu les fruits de la terre qu’elle a reçus de Lui, pour les voir transfigurés. Dans ce mouvement de donner et de recevoir, le monde est sanctifié. L’être humain devient un « prêtre de la création », un intendant et un serviteur du cosmos.

Dans l’Eucharistie, la matière devient lieu de communion : le pain et le vin, sanctifiés par l’Esprit, deviennent le Corps et le Sang du Christ. Cette transfiguration annonce la vocation ultime de la création : participer à la vie divine.

Dans l’Eucharistie, la matière devient lieu de communion : le pain et le vin, sanctifiés par l’Esprit, deviennent le Corps et le Sang du Christ. Cette transfiguration révèle la vocation ultime de la création : partager la vie divine.

La crise écologique : une crise spirituelle

Pour Zizioulas, la destruction de la nature est le symptôme d’une crise spirituelle : l’humanité a perdu le sens eucharistique du monde. Lorsque les gens cessent de se considérer comme des médiateurs et des serviteurs, ils deviennent des dominateurs et des consommateurs. Le monde, créé pour la communion, devient un objet d’exploitation. « Si nous ne prenons pas cela au sérieux », a-t-il prévenu, « nous serons coupables devant Dieu de notre indifférence ». La vraie solution n’est pas technique mais spirituelle : une *metanoia*, une conversion du cœur et de la vision.

L’humanité, prêtre du cosmos

L’expression de Zizioulas – « l’homme comme prêtre de la création » – est devenue classique. Cela signifie que l’être humain est appelé à offrir le monde à Dieu avec gratitude et à sanctifier la matière par l’amour. La liturgie devient ainsi l’acte écologique « par excellence » : elle redonne au monde sa vocation de communion.

Une écologie œcuménique

Zizioulas a joué un rôle majeur dans le dialogue interecclésial sur les questions écologiques. Actif au Conseil œcuménique des Églises et collaborateur du Patriarcat œcuménique de Constantinople, il a contribué à la création du 1er septembre^St comme Journée de prière pour la création. En 2015, il a accueilli favorablement l’encyclique du pape François Laudato si’ avec ces mots : « La menace écologique transcende nos différences ; nous devons y faire face ensemble. » Grâce à son influence, la théologie orthodoxe a trouvé un langage commun avec d’autres traditions : gratitude, sobriété et sanctification du monde.

Une pédagogie spirituelle

Selon le professeur Polykarpos Karamouzisla pensée de Zizioulas appelle à une éducation écologique fondée sur la foi. Dans la tradition orthodoxe, l’eau, la terre et l’air sont porteurs de bénédiction. Les gaspiller, c’est profaner les dons sacrés. Le désastre écologique est donc aussi une faute spirituelle, un manque de gratitude envers le Créateur. Enseigner la gratitude, dit-il, c’est déjà amorcer la conversion écologique.

Péché écologique et repentir

Professeur Arvanite de Christoforos souligne la dimension pastorale de la pensée de Zizioulas : détruire la création, c’est pécher. Ce « péché écologique », désormais reconnu dans les textes du Patriarcat œcuménique, exige repentance et confession. La communauté chrétienne doit apprendre à assumer la responsabilité des fautes de ses membres. L’écologie n’est pas seulement une question éthique mais une question de salut : ceux qui polluent délibérément doivent changer de cœur pour retrouver la communion divine.

Une théologie du cosmos

Professeur Stylianos Tsophanidis voit en Zizioulas le véritable « bras théologique » du patriarche Bartholomée. Il a donné à la théologie orthodoxe une portée cosmique : le salut concerne non seulement l’humanité mais la création tout entière. Le Saint-Esprit anime le monde et prépare sa transfiguration. La théologie de Zizioulas est donc « cosmothéandrique » : Dieu, l’humanité et le cosmos unis dans une seule vocation à la vie.

Conversion intérieure et espoir

L’archevêque de Crète, Evgenios, a rappelé que la surconsommation et le tourisme de masse défigurent son île. La réponse, a déclaré Zizioulas, doit être spirituelle : « La crise écologique est d’abord une crise du cœur. » Retrouver la beauté de la simplicité, la joie de l’action de grâce et la sainteté du quotidien, c’est déjà guérir le rapport à la création. Respecter la nature, c’est honorer la face de Dieu dans le monde.

Conclusion

L’héritage de Jean Zizioulas reste une puissante source d’inspiration pour la théologie de la création. En rappelant que tout acte de foi authentique est un acte d’action de grâce, il a introduit l’écologie dans la dimension de communion entre Dieu, l’humanité et le cosmos. À une époque où la planète souffre des excès humains, sa pensée appelle à une écologie de gratitude et de sobriété, où la prière devient un acte de résistance et d’espérance.

Lire Zizioulas, c’est découvrir que la conversion écologique commence par l’action de grâce et se poursuit dans la vie quotidienne, où l’humanité apprend à offrir la création comme un cadeau, et non à la posséder comme une marchandise.

Un site Internet est consacré à la vie et à l’œuvre de John Zizioulas, où l’on peut retrouver son portrait : https://zizioulas.org

* Martin Hoegger est un théologien réformé et auteur vivant en Suisse. Il participa à ce Congrès de Crète. https://www.hoegger.org

[1] Dans l’article « La Vision eucharistique du monde et l’homme contemporain », Contacts 19 (1967), 83-92.